Poursuivant les continents, tous les continents, il n’en peut plus d’être désespéré. J ai beau lui dire, jusqu’à tard dans l’épuisement, ton pays se meurt, mais toi tu es ici chez nous, tu ne crains plus rien. Il pense aux siens, à tous les siens, comme un pauvre qui n’a rien, et moi, sa femme d’ici, un pays libre, je n’ose même plus prononcer le nom du sien.

C’est vrai, si ça continue, il n’existera plus. En l’épousant, je pensais l’aider, lui redonner une vie, une identité, un pays. Lui n’en veut pas, et ça, Marion, je ne le comprends pas. Trois échecs à l’équivalence de ses diplômes de droit. Je lui répète sans cesse qu’il doit approfondir notre langue, le passé est fini.

A ces mots, il résiste, devient livide comme la haine…je ne le supporte plus.

Bien sur, il ne travaille pas, il pourrait pourtant tout faire, pas de métier indigne. Faut croire que pour lui, il y en a !

Le vrai problème, c’est que moi, une femme, je gagne beaucoup plus que lui ne le pourrait…çà non plus il ne le supporte pas.

Il passe ses journées à postuler. Il ne fait que cela, mais évidemment dans des cabinets d’avocats. Du coup, je ne lui donne même plus d’argent de poche, ça va peut être le motiver pour aller s’inscrire dans des agences de travail.

Et dire que je pensais le sortir de son pays de misère, c’est pas ma faute si la guerre l’a détruit. Je lui donne l’eau et il veut le puits. C’est presque de l’ingratitude!

Comme si j’étais responsable de l’histoire. Je regrette presque, par le mariage, de lui permettre d’obtenir une carte de séjour.

Il y a deux jours, son frère a reçu un refus à sa demande d’asile politique mais c’est pas raisonnable, tous les ans, sa femme pond un gosse…je ne sais pas où ils iront atterrir.

Mon mari, à cette nouvelle, s’est complètement effondré, déjà qu’il ne ressemble plus à rien!

On ne se parle presque plus. Il m’a seulement informé: je vais me suicider, tu parles! Penser au suicide demande un tel effort, une telle action dans le mouvement que je n’y crois pas. Il n’est même pas capable de ça.

Je finirais bien par lui donner moi-même son billet de retour! C’est vrai Marion que souvent nous les aimons bien mal, nos immigrés,tous ces étrangers étrangères…des exilés…il pleurait d’un profond chagrin en regardant ces images d’hommes noirs cherchant à franchir les barbelés, dans le sud de l’Espagne, certains étaient morts, j’ai essayé de le consoler, il hurlait: «je suis des leurs…je viens de là-bas» à quoi servent les étoiles aux hommes, qu’a-t-on fait de nous…j’ai vu des enfants mourir de faim…en vérité tout le monde s’en fout.

Des fois, je pense qu’il est communiste, je l’ai entendu dire: «le communisme, c’est l’idéal, mais l’humain ne sera jamais à la hauteur».

Tu verras, Marion, demain, j’irais lui chercher son billet de retour…